C’est en regardant la télévision que j’ai eu l’idée de m’interroger sur ce qui pouvait rapprocher la danse et la cuisine, deux domaines a priori complètement étrangers. En ce moment, plusieurs émissions mettent la danse à l’honneur (et tant mieux !) dans une grille des programmes où, toutes chaînes confondues, les émissions de cuisine fleurissent sans arrêt (Master Chef/TF1, Un dîner presque parfait/M6, L’amour au menu/Direct8, etc.). J’ai vu quelques similitudes entre certaines de ces émissions et non seulement les émissions récurrentes de danse (Danse avec les stars/TF1, La meilleure danse/W9, Dance Street/France ô), mais aussi avec une certaine vision de la danse dans son ensemble. D’ailleurs, ne parle-t-on pas aussi bien de l’art de la danse que de l’art culinaire ?
Ce qui a déclenché ma réflexion est la composition du jury des émissions de type « casting ». Dans les émissions de cuisine, ce sont principalement des hommes qui jugent les candidats. Figurez-vous que dans les émissions de danse c’est aussi le cas. Pourtant, dans les deux domaines, la grande majorité des pratiquantes sont des femmes. En effet, ce sont bien les femmes qui font — encore de nos jours — des petits plats à toute la famille dans la plupart des foyers français et, d’un autre côté, ce sont bien les petites filles qu’on envoie apprendre la danse en tutu dès le plus jeune âge, de même que ce sont les femmes qui fréquentent majoritairement les cours de danse et les soirées dansantes. Je dirais qu’à l’inverse, les amateurs de rugby sont majoritairement des hommes, et cela ne surprendra personne (même s’il y a aussi des amatrices, évidemment). Bon, alors qu’est-ce qui fait que les jurys des émissions de danse ou de cuisine soient composés d’au moins 2/3 d’hommes contre 1/3 de femmes ? Pour la cuisine, il semble que les femmes conservent une activité orientée autour du quotidien et du fait de nourrir une famille, alors que certains hommes aient poussé plus loin l’aspect technique de la cuisine ainsi que la prise de risque pour se diriger vers un côté plus événementiel. On ne mange pas dans le restaurant d’un grand chef tous les jours (en tout cas pas le Français moyen). Je ne vais pas m’étendre davantage là-dessus, car ce n’est pas mon domaine de compétence.
Pour ce qui est de la danse, même les hommes ne sont d’un premier abord pas autant attirés que les femmes, une fois qu’ils y ont mis l’orteil, ils y mettent le pied, puis y sautent à pieds joints. La raison de ce revirement ? En dehors de l’aspect artistique commun entre les hommes et les femmes, il y a aussi un intérêt pour la technique. Cet intérêt s’amplifie chez les hommes au fur et à mesure qu’ils progressent. Je passe sous silence ici le plaisir qui peut être ressenti par un garçon d’évoluer au sein d’un groupe essentiellement féminin. Dans le cas de la danse en couple, j’ajoute que l’effort d’investissement nécessaire pour un danseur débutant est plus important que pour une danseuse. Ainsi, une fois cette difficile étape passée qui consiste à apprendre à la fois la technique des pas, les figues, le guidage et peut-être même des enchaînements, le danseur commence à éprouver le plaisir de danser et de s’exprimer sur la musique. Car c’est lui qui improvise l’enchaînement des figures que le couple danse lors des soirées dansantes. L’aspect technique revient ensuite, car le danseur aperçoit d’étape en étape qu’il lui est possible d’améliorer sa danse en apprenant de nouvelles techniques qui lui amènent de nouvelles figures. Voilà de quoi étonner sa danseuse et, ça, le danseur aime bien. À l’inverse, la danseuse ne recherche pas forcément ce côté performance en dehors des compétitions. Elle veut simplement se divertir en dansant, un peu comme la mère de famille veut simplement « faire à manger ». Cela pourrait bien expliquer, au moins en partie, pourquoi on voit davantage d’hommes dans les jurys des émissions. Je suis persuadé qu’on pourrait écrire un livre entier ou une thèse de sociologie sur le sujet.
En restant un peu dans le sujet, j’ai aussi l’impression que concocter une chorégraphie de danse est très semblable à la réalisation d’une recette de cuisine. On a un thème (la musique), des ingrédients (les pas de base), des techniques (les figures). Prenons l’exemple d’un quatre-quarts. En gros, c’est 1/4 d’oeufs, 1/4 de beurre, 1/4 de sucre, 1/4 de farine (plus 1 ou deux trucs en plus). Tous les quatre-quarts sont faits à partir de cette base et un enchaînement bien précis d’actions (séparer les jaunes des blancs, etc.). À partir de cette recette, il est possible de faire des variantes : quatre-quarts aux pommes, quatre-quarts à la confiture, etc. Pour qu’un enchaînement de rock à plat puisse être reconnu comme un rock à plat, il faut que les danseurs effectuent les pas de base (1, 2, 3 et 4, 5 et 6) et des figures basées sur ce pas de base. Ce sont nos ingrédients et les proportions qui vont avec. La technique de guidage et le style feront le reste. Mais on peut très bien imaginer agrémenter notre enchaînement de petits jeux de jambes ou d’acrobaties. Cette chorégraphie sera toujours un rock, mais les ingrédients supplémentaires lui auront donné son caractère spécifique. Là, il faut trouver la limite entre une danse et une autre. Si je mets essentiellement des acrobaties dans mon enchaînement et que j’utilise un pas de rock sauté durant toute la danse, j’aurais fait un rock acrobatique et non un rock à plat. Ce n’est plus la même danse. C’est comme si, dans ma recette de quatre-quarts, je mets davantage de sucre et de farine, je ne fais plus un quatre-quarts : ce sera un autre gâteau. C’est ainsi que différents chorégraphes, en utilisant, la même musique, les mêmes danseurs et la même technique de danse de base inventeront chacun une chorégraphie complètement différente de l’autre. Ensuite, au public de dire s’il aime ou pas, car tous les goûts sont dans la nature. À chaque chorégraphe son public. Tout l’art reste malgré tout de faire un gâteau qui soit mangeable…