Je fais une petite pause dans les articles généraux sur le monde de la danse pour (re)parler un peu de l’autobiographie de Frankie Manning (écrite en collaboration avec Cynthia Millman) en français qui n’a jamais été aussi proche de sa sortie (en fin de mois). Comme cet article va être long, je vais le diviser en deux parties que je mets en ligne au fil de l’écriture.
Genèse
Voici un peu plus de 8 mois, je signai le contrat d’acquisition des droits de traduction et d’édition du livre « Frankie Manning: Ambassador of Lindy Hop » avec Temple University Press, l’éditeur original aux États-Unis. Je ne m’imaginais alors pas l’ampleur de la tâche qui m’attendait. Au début, je me suis uniquement focalisé sur le texte. Comme la plupart des Francophones, j’avais lu (ou plutôt survolé) le texte en américain et en avais saisi le sens global sans particulièrement m’arrêter sur chaque mot ou chaque expression que j’avais du mal à comprendre. J’avais ainsi saisi la mine d’informations sur la danse et la musique swing ainsi que la culture afro-américaine et particulièrement celle des années 1920 à 1950. Ensuite, j’ai décidé qu’il fallait faire partager tout cela aux personnes qui ne parlaient pas l’anglais. D’où mes diverses démarches (ayant duré plusieurs mois) pour quasiment harceler les détenteurs des droits pour qu’ils me les vendent. L’affaire étant lancée, j’ai donc porté successivement diverses casquettes que je vous détaille ci-après.
Traducteur
La lecture du livre original m’avait laissé apparaître que j’étais capable de me lancer dans cette tâche. En effet, mon niveau d’anglais (que je qualifie de correct mais que mes interlocuteurs étrangers disent bon), ma connaissance du monde de la danse (et de la danse swing en particulier) à un bon niveau et de celui de la musique (dont le jazz) ainsi que mon aisance dans la pratique de la langue française sont des outils qui m’ont été indispensables à ce travail. J’y ajoute, bien sûr, de multiples dictionnaires, livres, sites Internet encyclopédiques, forums de traducteurs et autres amis ayant vécu à New York et parlant l’anglais depuis leur naissance qui m’ont été extrêmement utiles. Dans ce travail, j’ai essayé de rendre le mieux possible le style de Frankie et de faire une traduction la plus neutre possible vis-à-vis du large public visé. En particulier, certains termes et anglicismes trop spécifiques au milieu du swing français n’ont pas été repris tels quels (« routine » ou « danser en social » par exemple). Ainsi, que l’on soit danseur de lindy hop ou danseur de danses de salon, que l’on soit amateur de jazz ou néophyte complet ou que l’on soit simplement intéressé par l’histoire afro-américaine ou par l’histoire édifiante d’une vie, ce texte devrait être abordable part tous.
Correcteur
Une fois le texte traduit, il faut s’assurer de la cohérence de l’ensemble en français ainsi que de la bonne application des règles élémentaires d’orthographe et de grammaire. Cette phase requiert de multiples revues de texte, corrections, reformulations, etc. sans pour autant trahir le texte d’origine. Plusieurs bonnes volontés sont été mises à contribution dans cette relecture (et je les en remercie) en plus de logiciels automatiques. Mais je dois dire que jusque dans les dernières minutes, des coquilles étaient encore trouvées. J’ai corrigé dans ma traduction des erreurs qui restaient dans l’édition en anglais, mais il y a des chances que, malgré toute l’énergie qui y a été consacrée, des fautes de frappe subsistent. En tout cas, le maximum a été fait dans le temps imparti pour produire le résultat le meilleur possible.
J’ajoute ci-dessous un lien vers un petit clip qui a servi à faire la promotion de livre lors de sa sortie aux États-Unis en 2007 et en anglais. Cela vous donnera quelques informations en plus avant d’aller plus loin dans les explications.
Je continue cet article en détaillant les différentes casquettes que j’ai dû porter pour aboutir au livre que vous allez bientôt pouvoir acheter.
Éditeur
Une fois le contrat de cession des droits pour l’Europe négocié et signé et le texte étant fait, si l’on regarde le livre d’origine, il manque encore les photos. Certaines d’entre elles proviennent directement de Frankie et Cynthia, un contrat additionnel a donc encore été réalisé. Pour d’autres photos, ce fut plus compliqué. Par exemple, l’acquisition des droits de la photo de couverture fut une véritable chasse au trésor afin de trouver qui pouvait bien donner cette licence pour l’Europe (avec le fichier image, bien entendu). Au bout du compte, cette tâche de recherche d’autorisations de reproduction aura pris énormément de temps par rapport à ce que j’avais prévu. Et encore, je ne parle pas des coûts importants que je n’avais pas anticipés pour certaines photos (dont les images rares issues de la Warner et de la RKO). Heureusement que toutes les photos n’ont pas été acquises auprès de professionnels et que j’ai ainsi pu éviter des dépenses supplémentaires qui auraient encore alourdi le prix de vente du livre.
Graphiste et informaticien
Voilà, nous avons le texte, nous avons les photos. Il nous faut à présent les assembler dans un ensemble agréable. J’ai choisi de m’inspirer du design de l’édition américaine qui me semble à la fois moderne et sympathique. J’ai donc fait un compromis entre celui-ci et la charte graphique que je suis généralement pour tous les livres que j’édite (polices de caractères définies, emplacement de certaines informations dans le livre, logo, etc.). Le résultat est plutôt probant, mais il a demandé des heures de travail pour réaliser une maquette automatiquement appliquée d’une manière homogène à tout le livre. Je précise qu’un tel résultat n’aurait pas été atteint si j’avais utilisé un simple outil de bureautique comme Word (beurk !) : comme pour tous mes ouvrages, c’est le logiciel LaTeX qui a été mis à contribution avec grand succès. Ensuite, l’intégration des photos a demandé un travail de restauration pour certaines. En effet, Frankie Manning disposait de très vieilles photos plusieurs fois pliées et ayant donc de gros défauts. Là aussi, quelques heures de travail ont permis d’atteindre un résultat correct (dans l’édition originale, les photos n’avaient pas été restaurées). Enfin, une fois cela réalisé, on s’imagine que tout est fini, mais ce n’est pas le cas. Il reste encore un gros travail pour créer un index réellement utilisable, les tables des matières, les légendes en fonction des divers crédits et copyrights, etc. D’ailleurs, l’index a demandé le développement d’un petit programme maison pour automatiser quelques derniers ajustements. Ainsi, même si au dernier moment l’emplacement d’un mot changeait, l’index était toujours recréé en conséquence avec les bons numéros de page.
Encore éditeur
Eh oui. C’est la casquette d’éditeur qui revient à cette étape. Il faut à présent traiter avec l’imprimeur pour la fabrication du livre. Contrairement à mon habitude, j’ai souhaité avoir un objet plus robuste au niveau de la reliure (mais cela a un coût et implique des contraintes techniques…). Ensuite, il faut voir comment faire entrer cela dans le budget prévisionnel. Je vous passe quelques détails, mais le résultat est la réception de plusieurs palettes de cartons contenant des centaines d’exemplaires d’un même livre. Il ne reste plus qu’à le vendre pour au moins récupérer les milliers d’euros d’investissement (déjà dépensés avant même d’avoir vendu un livre).
Petit bilan…
Jusqu’au dernier jour (et la dernière minute !), j’ai échangé des coups de téléphone et des e-mails avec les États-Unis, en particulier avec Cynthia Millman à qui j’ai fait valider tous les changements que je souhaitais apporter par rapport à l’édition d’origine. Ce travail, malgré sa complexité (décalage horaire, distance, culture et langue, recherches à distance dans des archives, investissement personnel et temps passé pour aboutir au résultat, etc.), a été pour moi très enrichissant. J’ai la satisfaction d’être le seul (en plus des auteurs) à être entré dans le texte dans ses moindres détails et à en connaître les subtilités. Un simple lecteur ne peut pas le faire, même en lisant le livre plusieurs fois. Comme le dit gentiment Cynthia dans son introduction spécialement écrite pour l’édition française, ce travail m’a passionné et je suis heureux d’en être venu à bout. À présent, je souhaite que ce livre résultant du travail de Frankie, Cynthia et moi-même puisse contribuer à faire connaître le lindy hop et ses origines à tous les francophones. Je pourrai écrire encore des pages sur ce travail intensif sur neuf mois (c’est un peu comme mon dernier né…), mais peut-être aurai-je l’occasion de le faire de vive voix si un jour je suis invité à le faire près de chez vous ?
Pour finir, j’ajoute que je prépare un petit montage vidéo promotionnel d’une trentaine de minutes que je pourrai présenter dans diverses écoles, soirées, stages sur demande afin de donner un avant-goût du livre. Je ne vendrai ni ne diffuserai ce montage vidéo pour la simple raison que je n’ai pas acquis les droits de vente DVD de ce qui s’y trouvera. Je pourrai ainsi parler du travail autour de cette édition française, montrer des photos rares (dont certaines que je n’ai pas mises dans le livre !), des extraits de films anciens que Frankie mentionne dans son récit, ainsi que quelques anecdotes non racontées dans le livre et que je tiens directement des auteurs. Bien sûr, le livre pourra être disponible à la vente à l’issue de cet exposé si les organisateurs le souhaitent.
Ah, encore un mot… La disponibilité de cette édition en français est prévue le 27 avril 2009 au prix de 35 euros (je sais ce n’est pas donné, mais je ne suis pas une major de l’édition qui tire à des centaines de milliers d’exemplaires, le tirage est donc limité et le prix de vente en tient compte). N’hésitez pas à me contacter via mon site http://www.rolland-editions.fr (page « contact ») pour plus d’informations.